Draconians
Sujet Avant Accueil Remonter

Arbre des Séphiroths

 

Six aventuriers, Lefgard, Dackrÿll, Albrecht, Chrystelinn, Turquine et Cri-Le-Loup (le narrateur), reviennent de Xak Tsaroth, soucieux des dernières paroles de la déesse Mishakal. Ils arrivent au village de Solacium, dévasté par les armées-dragons et retrouvent l'auberge de "la dernière maison" et leur amie Tika Waylan.



Nous venions de nous asseoir au plus profond de l'auberge de "La Dernière Maison" sur l'invitation de Tika. Son accueil était étrange. Nous étions d'une saleté repoussante avec nos vêtements déchirés, trempés, boueux, parfois même ensanglantés, on peut dire que nous étions méconnaissables. Le pire était Dackrÿll avec une balafre impressionnante sur la joue gauche. Tika nous avait entraînés dans un coin reculé en forçant sa voix à un volume et une gaieté inhabituelle qui sonnaient faux. J'étais pourtant heureux de la revoir. En passant entre Albrecht et moi, elle ajouta plus bas : "Nous avons à parler". Évidemment que nous avions à parler, mais le ton de sa voix indiquait qu'elle surtout avait quelque chose à dire.

Nous nous sommes assis sur les lourdes chaises de bois avec une lourdeur et une lassitude unanimement partagées. Mon genou était encore douloureux et mon bras droit contusionné. Je jetais un rapide coup d'œil à Albrecht. Le bâton de cristal bleu n'étais plus à notre garde, mais machinalement, je le cherchais encore. Je resserrai le nœud du tissu qui faisait office de genouillère et m'accordais alors quelques instants de détente.

Turquine se reposait sur la table, la tête dans les bras. Elle avait beau être la moins abîmée et sans blessure apparente, l'épreuve de Xak Tsaroth n'en avait pas moins été dure pour sa nature elfique plus habituée à la douceur des sous-bois qu'à la moiteur étouffante des cavernes qu'elle exécrait. Sa beauté était pourtant sauve, toujours séduisante, sa chevelure noire toujours aussi étincelante malgré la frange roussie qui ornait son front comme le mien et celui de quelques autres. J'observai alors les rares clients de l'auberge.

Habituellement animée, elle n'était fréquentée que par trois personnages apparemment inoffensifs, silencieux, le nez baissé sur la surface graisseuse de la table. Un autre client, petit, encapuchonné, était installé devant une bière près de la porte, presque face à nous. Il semblait plongé dans une profonde médiation. Un bruit lui fit tourner lentement la tête; Tika nous apportait une grande casserole de pommes-tinigen. Chrystelinn secoua Turquine qui se redressa avec lenteur. La belle Tika posa sa casserole au milieu de la table, nous distribua des cuillères et nous servit les pommes accompagnées d'une sauce inconnue. La bonne odeur nous sortit de notre torpeur.

- Le paysage... c'est l'œuvre des draconians, n'est-ce pas ? demanda Lefgard.
- Ils ont tout fait brûler, ils ont tout... dévasté, saccagé,... ils nous ont tués.
- Mais ça va toi ? s'enquiert Albrecht avec une langueur dans la voix qui ne nous surpris qu'à moitié. Tika lui avait tapé dans l'œil, ce qui était habituel pour lui qui flambait à la vue du moindre jupon. 
Dackrÿll répondit pour Tika :
- Mais évidemment que ça va ! C'est une personne raisonnable, elle, elle a un métier, elle n'est pas une andouille d'aventurière qui perd sa belle jeunesse à courir la campagne - sans jeu de mots - pour quoi ?... des clop...

Un vent glacial s'engouffra par la porte ouverte bruyamment. Huit silhouettes hautes et sombres surgirent de la nuit illuminée par Nuitari. Ils avancèrent sans hésiter. Je réprimai un mouvement vers le pommeau; non, Daënsefer resterait à sa place du moins pour l'instant. L'appendice caudal des visiteurs ne laissait pas place au doute, des hommes-dragons. Ils s'installèrent bruyamment à une table voisine de la nôtre et lancèrent ce qui semblait être des critiques douteuses à l'égard de l'établissement, peut-être de ses clients. Ils riaient, de leurs rires sifflants, et nous jetaient parfois des regards de vainqueurs. Certainement ils nous prenaient pour des résistants vaincus ou quelque chose de ce genre. A vrai dire ils s'en moquaient, fort de leur supériorité, malheureusement réelle.

Lefgard avait ramené sa cape sur son arme; Albrecht plaça son pied de telle façon que son propre fourreau ne fut pas visible sous sa chaise. Il serrait son poing sur le tissu noué autour de sa main. Il faisait un effort pour se contenir. Je compris alors que Tika devait être au centre des plaisanteries des draconians. L'un d'eux se redressa et cria " Ssservicce !". Tika sursauta et tous s'esclaffèrent de nouveau bruyamment. Elle se retourna, leur marmonna quelques mots d'excuse et partit en cuisine. Les trois clients sortirent de l'auberge alors que Tika revenait avec une autre grosse casserole d'au moins dix livres. Tandis qu'elle commençait à servir les envahisseurs. Le quatrième client, toujours dissimulé sous sa capuche se leva et se dirigea vers nous, tentant de passer au plus loin de la table des draconians. La silhouette était petite et frêle. Alors qu'il passait la table des hommes-dragons, l'un d'eux attrapa alors soudainement le coin de sa toge et tira la capuche de l'inconnu. Je sursautai devant la vivacité et l'ampleur du mouvement; Lefgard et Albrecht qui me faisaient face ouvrirent des yeux comme des soucoupes, tendus comme des arcs, se demandant ce qui se passait dans leur dos.

La lumière éclaira le visage de l'étranger. Un elfe ! Mais pour Tika, ce devait être trop. Dans un cri strident, elle abattit la lourde poêle sur la tête du curieux avec une force et une violence dont on l'aurait difficilement cru capable. Il s'écroula comme une masse avec une lueur de surprise dans les yeux. Les autres draconians étaient comme pétrifiés et dévisageaient Tika avec des regards successivement époustouflés puis amusés et enfin diaboliques. Tika était paralysée, surprise elle-même de son geste. Un homme-dragon, voisin de l'assommé la bouscula alors violemment et l'immobilisa contre la table.

On ne savait pas quoi faire. L'elfe pris la décision pour nous. Un éclair brilla, une lame s'abattit une fois, puis deux et trois dans le dos du draconian. La décision était faite. Lefgard se retourna comme un fou, pris sa chaise à deux mains et l'écrasa sur la face hideuse d'un draconian encore assis ; Albrecht et moi dégainâmes nos épées; Turquine se baissa en quête de son arc poussé au bas du mur. Krystelinn, comme Dackrÿll semblaient réfléchir à toute vitesse. Le draconian entré en collision avec la chaise se releva péniblement; les autres jaillirent sur leurs pieds armes au poing en un rien de temps. Devant Albrecht, un reptile reculait prêt à esquiver un mauvais coup.

L'elfe repoussa le corps de sa victime et commença à dégager Tika écrasée sous le poids de son agresseur. Le corps tomba lourdement sur le sol. Subitement, un jaillissement d'épée éclata un pilier juste là où était la tête de l'elfe un battement de cils plus tôt. La cible s'était jetée sous la table, échappant au coup meurtrier. Albrecht et Lefgard, qui avait maintenant dégainé, se jetèrent dans une mêlée furieuse. Krystellinn bascula violemment notre table, formant un rempart. Je passai sur la gauche. La première victime de Lefgard, qui l'avait oublié, avait retrouvé tous ses esprits. J'esquivai son coup de griffe circulaire et après un bond derrière la table attendit le retour. Pas de retour,... mon adversaire avait disparu derrière le rempart, qui me le dissimulait. Derrière, des bruits de métal entrechoqué et des cris rauques et sifflants m'indiquaient que le combat faisait rage. J'étais coincé là ! Prenant mon élan, je donnai un grand coup d'épaule dans la table renversée : Non seulement elle résista, mais elle me sauta au visage ! Je n'eus que le temps de me protéger de mon mieux.

Étourdi par le choc, j'ouvris les yeux. La table était devant moi retournée. J'avais heurté le mur après la table. Daënsefer devait être sous la table, mais mon adversaire, arme au poing, était dessus. A ma droite, Turquine avait aussi été touchée et tentait de se redresser. A ce moment, un formidable éclair de foudre déchira l'espace. Dackrÿll ! Projeté en arrière, le draconian s'écroula, atrocement brûlé. Je n'eus que le temps de me relever et de tenter de tirer Turquine dont les jambes étaient coincées sous la table, Chrystellinn approchait pour m'aider, lorsqu'une terrible explosion retentit : la victime de Dackrÿll avait explosée. Je levai la tête pour voir Albrecht projeté contre le mur. Son adversaire avait été désarmé mais se jetait sur lui avec une rage décuplée. J'admirai alors sa maîtrise forgée au combat. En trois mouvements, l'homme-dragon avait heurté le mur, pris un coup de genou et fait trancher la tête sans avoir porté un coup. Albrecht se jeta en arrière. Une violente explosion retentit, suivie bientôt de deux autres.

Le silence et la poussière succédèrent au chaos de la bataille. Toutes les lanternes du fond de l'auberge avaient été soufflées. Les ténèbres régnaient. L'angoisse me noua alors la gorge, j'étais cloué sur place. Devant moi, un cri me fit sursauter :
- Albrecht ? au secours, je suis aveugle ! 
C'était la voix de Lefgard. Une ombre apparut devant moi, je tendis la main. Je répondis:
- Là, je suis là ! 
Le coup qui suivit et manqua de m'entailler le bras droit me fit comprendre mon erreur. La douleur fut extrêmement vive. L'ennemi marqua un temps d'arrêt, comme pour constater l'effet de son coup. Il ignorait la présence de la maille elfique sous la pèlerine anodine. Son hésitation fut fatale. Un coup de pied au bas-ventre, un coup de genou, il était à terre. J'aurais voulu conclure d'un coup de poing sur le crâne, mais la douleur m'en empêcha. Les bruits de lutte plus loin devant moi cessèrent. Albrecht avait rejoint Lefgard et appelait. Chrystellinn répondit à droite. C'était à moi :
- Je suis là, Turquine ? Dackrÿll ?
- Oui, ça va !
- Mais qu'est-ce qui se passe dans ce souk, qu'est-ce que c'est que cette auberge de la mort, et ces monstres à la graisse d'orc, j'en ai marre !
Dackrÿll venait de crier ces derniers mots. D'après le son, il n'était pas touché. La poussière retombait doucement. Tout à coup, Albrecht jura. Devant à quelques pas, trois silhouettes : Albrecht était aux prises avec deux hommes-lézards. Il avait récupéré son arme. Tout à coup, une boule colorée jaillit dans ma direction. Elle s'écrasa sur ma cuisse dans une gerbe de feu. Je tombai au sol. Le feu avait mordu, la douleur se faisait de plus en plus vive. Le sang chaud collait le tissu sur ma cuisse. J'avais envie de hurler, je serrai les dents. Le draconian ne devait pas savoir qu'il avait touché. Je cherchai Dackrÿll du regard. Albrecht était au contact d'un des hommes-dragons, l'autre avançait vers moi armé d'une dague. En un éclair, je pensai alors à l'elfe qui était sous la table au moment des explosions. La table, j'étais au milieu de ses débris, aucune trace de lui, ni d'ailleurs de Tika. Krystelinn venait à ma rescousse, poignard en main. Elle voulait en découdre, dans son regard brûlait une flamme vengeresse. Soudain, cinq traits lumineux jaillirent de la gauche avec des détonations et des crépitements. Je n'eus que le temps de me laisser retomber dans les débris de la table. Les éclats de bois volaient autour de moi dans un bruit de tonnerre. Une fois encore, cette magie n'était pas de Dackrÿll. Le bruit cessa, seuls se poursuivaient ceux de la lutte de Krystellinn et d'Albrecht.

Un bruit de course sur ma droite. Albrecht sortit de l'ombre, effaré. "J'en ai eu un, l'autre a disparu devant m..." Il s'écroula brutalement à mes côtés. Pris au dépourvu, je reculai précipitamment à quatre pattes et le tirant vers moi. Une large estafilade marquait son dos. Blessure par lame, l'adversaire était invisible ! Je tirai mes deux coutelas de sous ma tunique en tentant de me relever. La douleur était plus forte. Je retombai assis. Je vis alors s'écarter les volutes de poussière sur ma gauche. Je criai "là" en lançant mon coutelas. Il fut visiblement stoppé dans sa course, puis s'évanouit rapidement dans l'air. Je gardai ma seconde arme dissimulée dans ma pèlerine. Elle était ma dernière chance de survie. Je tendis l'oreille, attentif au moindre souffle dans les deux mètres.

- Magic ! 

Dackrÿll avait prévenu. Conditionné par l'expérience, je me tassai sur le sol en me protégeant le visage. Une explosion formidable et sourde à la fois, une chaleur intense et une lueur aveuglante emplirent la pièce. Silence, odeur de chaud et de brûlé. Un homme averti en valant deux, j'attendis l'explosion de nos victimes, leur dernier sursaut dans leur folie destructrice. Le temps d'un souffle, deux explosions retentirent dans l'auberge. Silence. Quelques secondes de sécurité étaient nécessaires; je remarquai alors que ma main était collante. Du sang la recouvrait, je sentais son odeur caractéristique, chaude et vivante. D'où venait-il ? d'Albrecht ? de ma cuisse brûlée ? d'une nouvelle blessure ? Le temps n'était pas aux questions. L'obscurité était quasi-totale. La boule de feu avait tout soufflé sur son passage. Seuls quelques foyers d'incendie naissaient ça et là et trouaient les ténèbres poussiéreuses. Le silence s'éternisait. Je me risquai :

- Tout va bien ? 

Une masse me tomba dessus. L'ennemi invisible m'avait trouvé. Il semblait aussi aveugle que moi. Je me roulai sur le côté au hasard. et me remis sur les genoux. Un coup de lame au hasard devant moi. Rien. Je perçus un souffle sur ma gauche. Revers de lame au jugé. Un cri étouffé : j'avais touché; des gouttes gluantes sur mes doigts en témoignaient. J'avais arrêté de respirer. Plus un bruit. Je n'osais plus bouger. Le moindre son pouvait être fatal. Une lueur s'éleva au fond vacillante. Instinctivement, je m'accroupissait, comme pour me fondre dans l'obscurité. L'homme-dragon allait certainement me distinguer, je ne le verrais pas. Je ne pouvait pas retenir mon souffle plus longtemps. Subitement, deux flèches sifflèrent à mes oreilles. L'impact se fit devant, un cri de douleur s'éleva. Je sautai au hasard et heurtai une masse qui m'arracha le visage : une épaulette à pointes. Je lançai mon poing armé et frappai, frappai, frappai... La résistance se fit plus molle, se relâcha, puis mourut. Je poussai le corps et me précipitai en arrière. La douleur m'arracha un cri. Une explosion brutale certifia la mort de mon adversaire. J'étais trop près, des éclats me criblèrent le dos. Ils rebondirent sur les mailles elfiques. Je me retournai lentement sur le dos et écoutai. Chrystellinn appela :

- Où êtes-vous ? répondez ! 

Nous répondîmes les uns après les autres : Dackrÿll, Turquine,... et moi. Où étaient les autres. La clarté jaune de l'incendie montait. Dackrÿll était debout derrière moi et regardait Turquine qui m'aidait à m'asseoir, l'arc passé en bandoulière Ils ne semblaient pas touchés. Chrystellinn était plus en avant, son poignard courbe en main. Elle se retourna vers nous, puis jeta un coup d'oeil circulaire. Un cri, une silhouette jaillit et la projeta contre un mur. Elle s'écroula au pied du mur étourdie. Le monstre ramassa un fléau qui gisait au sol et s'avança lentement vers elle, terriblement menaçant. Il semblait d'une taille démesurée. Nous étions totalement impuissants. Il leva son arme, fit un dernier pas et... s'écroula d'un bloc. La silhouette de Lefgard se détachait sur fond de flammes, l'arme prise à deux mains venait de frapper à plat. Le monstre gisait de tout son long, assommé pour une longue période. Je me laissai retomber en arrière. Turquine pencha son visage sur le mien. Je l'observais intensément. J'enviais sa beauté et sa nature elfique. Elle croisa mon regard et perçut mon souffle. Je soufflai bruyamment. Surprise, elle sourit en ramenant ses cheveux en arrière. J'étais pris d'une terrible envie de l'embrasser, et elle ne semblait pas l'ignorer. Son visage approcha à quelques centimètres...

Tout à coup, la porte d'entrée vola en éclats et cinq formes pénétrèrent l'établissement ravagé levant haut leurs torches. Tika et l'elfe surgirent de derrière l'abri d'une table levée contre un mur. Albrecht gisait sur le sol. Les quatre hommes-dragons et le hobgobelin, visiblement le chef, étaient suivis d'une quinzaine d'autres monstres du même acabit dont les silhouettes se détachaient dans la nuit derrière les vitres noircies ou fondues de l'auberge.

Peu de temps après, nous étions tous les huit délestés de nos armes et bagages et jetés en l'état dans un chariot pénitentiaire, en route pour une destination inconnue...

 

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Dernière mise à jour le 26-07-2000
Par ObiWan